Quand on voit ce qu’on voit, quand on entends ce qu’on entends,
on se dit qu’on a raison de penser ce qu’on pense.
Ca c’est de la bonne phrase.
Que ton poème soit l’espoir qui dit A suivre au bas du feuilleton
sinistre de nos pas. Ca c’est Aragon c’est Elsa qui lui dit
ça. Tiens je vais le chercher d’ailleurs, il est beau (oui
c’est normal c’est Aragon :) :) )
Le voilà :
Ce que dit Elsa
(extrait de "Cantique à Elsa")
Tu me dis que ces vers sont obscurs et peut-être
Qu'ils le sont moins pourtant que je ne l'ai voulu
Sur le bonheur volé fermons notre fenêtre
De peur que le jour n'y pénètre
Et ne voile à jamais la photo qui t'a plu
Tu me dis Notre amour s'il inaugure un monde
C'est un monde où l'on aime à parler simplement
Laisse là Lancelot laisse la Table Ronde
Yseut Viviane Esclarmonde
Qui pour miroir avaient un glaive déformant
Lis l'amour dans mes yeux et non pas dans les nombres
Ne grise pas ton cœur de leurs philtres anciens
Les ruines à midi ne sont que des décombres
C'est l'heure où nous avons deux ombres
Pour mieux embarrasser l'art des sciomanciens
La nuit plus que le jour aurait-elle des charmes
Honte à ceux qu'un ciel pur ne fait pas soupirer
Honte à ceux qu'un enfant tout à coup ne désarme
Honte à ceux qui n'ont pas de larmes
Pour un chant dans la rue une fleur dans les prés
Tu me dis laisse un peu l'orchestre des tonnerres
Car par le temps qu'il est il est de pauvres gens
Qui ne pouvant chercher dans les dictionnaires
Aimeraient des mots ordinaires
Qu'ils se puissent tout bas répéter en songeant
Si tu veux que je t'aime apporte-moi l'eau pure
A laquelle s'en vont leurs désirs s'étancher
Que ton poème soit le sang de ta coupure
Comme un couvreur sur la toiture
Chante pour les oiseaux qui n'ont où se nicher
Que ton poème soit l'espoir qui dit A suivre
Au bas du feuilleton sinistre de nos pas
Que triomphe a voix humaine sur les cuivres
Et donne une raison de vivre
A ceux que tout semblait inviter au trépas
Que ton poème soit dans les lieux sans amour
Où l'on trime où l'on saigne où l'on crève
de froid
Comme un air murmuré qui rend les pieds moins lourds
Un café noir au point du jour
Un ami rencontré sur le chemin de croix
Pour qui chanter vraiment en vaudrait-il la peine
Si ce n'est pas pour ceux dont tu rêves souvent
Et dont le souvenir est comme un bruit de chaînes
La nuit s'éveillant dans tes veines
Et qui parle à ton cœur comme au voilier le vent
Tu me dis Si tu veux que je t'aime et je t'aime
Il faut que ce portrait que de moi tu peindras
Ait comme un ver vivant au fond du chrysanthème
Un thème caché dans son thème
Et marie à l'amour le soleil qui viendra
Il est beau hein, en tout cas moi, je sais que j’ai un coté
inconditionnelle, mais bon, c’est beau : Honte à ceux qu'un
ciel pur ne fait pas soupirer
Honte à ceux qu'un enfant tout à coup ne désarme
Honte à ceux qui n'ont pas de larmes
Pour un chant dans la rue une fleur dans les prés,
et puis si on commence a citer un bout faut citer le texte en intégralité.
Alors il faut le relire, et le relire, et puis après il pénètre
au fond du cœur, un café noir au point du jour, et marie a
l’amour le soleil qui viendra. Et le relire encore et encore, c’est
ca qui est très fort avec Aragon, c’est qu’on a beau
les connaître par coeur a force ces poèmes, chaque fois on
découvre un truc en plus, une phrase qu’on avait pas bien
comprise, des mots simples qui prennent une force hallucinante un beau
jour, alala, « que serais je sans toi qu’un coeur au bois
dormant, que cette heure arrêtée au cadran de la montre,
que serais sans toi que ce balbutiement… »
bon, si je commence a partir moi, je cite l’intégrale, alors
bon. Mais euh, bon hein, c’est pas qu’ils sont tous bien,
c’est mieux, ils sont tous géniaux, moi je suis sure que
ça fait partie de ma personnalité Aragon maintenant, a force
de le lire, je l’intègre, par couche successives, et a force
de le lire on relis ceux qu’on a déjà lu et ils sont
encore plus beaux. Si je l’avais pas lu je suis sure que je serais
pas la même, c’est con, mais par exemple, celui d’en
ce moment : « la semaine sainte », et ben, il a cette façon
de toujours parler des choses, de montrer oh, c’est pas facile a
dire, mais c’est génial en fait, a c’est con j’ai
pas un max de vocabulaire moi dis donc, il raconte une histoire, mais
pas comme quelqu’un d’autre, comme lui, il raconte le type
qui est soldat du roi quand napoléon est en train de remonter de
l’île d’Elbe, et c’est 1 million de fois plus
passionnant que la simple histoire qu’on apprends, c’est pas
la vie de napoleon, c’est la vie des gens normaux, ce qu’ils
en pensent, comment ils sont, ce truc la c’est vraiment pas le plus
répandu, on nous serine toujours avec les rois machin, les puissants
bidules, en occultant le reste comme si ça ne valait rien. Lui
il sait raconter et faire entrer dans une histoire, il va toujours plus
loin. Je l’aurais pas lu par exemple j’aurais pas le meme
rejet de la guerre, mais quand il raconte, « tu n’en reviendras
pas toi qui courais les filles »:
TU N'EN REVIENDRAS PAS
Extrait du poème d'Aragon "La guerre et ce qui s'en suivit"
Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j'ai vu battre le coeur à nu
Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille
Qu'un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l'ancien Légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux
On part Dieu sait pour où Ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n'être plus du jeu
Les bonshommes là-bas attendent la relève
Roule au loin roule le train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur
Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit
Déjà vous n'êtes plus qu'un nom d'or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s'efface
Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri
Deja vous n’etes plus que pour avoir péri. Ca c’est
alala, je sais pas bien dire.
Mais bon, si tu te structures avec ce genre de choses, c’est sur
qu’après la guerre, pour la liberté la démocratie,
blabla, honneur, tu sais très bien qu’on est en train de
se foutre de ta gueule. Mais sans ces textes, j’aurais été
moins convaincue par exemple, moins intimement et profondément,
la guerre c’est un truc que des puissants font entre eux en envoyant
des gars qu’ont rien demandé se faire trucider. Depuis toujours
c’est ça, alors du coup les arguments : l’homme a toujours
fait la guerre, ça bloque, c’est pas l’homme c’est
les puissants, et c’est les petites gens qui crèvent. C’est
pas dans les gènes de l’homme les gars, c’est dans
les gènes des puissants qui n’ont pas grand chose a y perdre,
qui manœuvrent, stratégisent, comptabilisent pendant que des
petits gars qui couraient les filles ont le cœur ouvert.
Et aujourd’hui le cirque continu, on aimerait croire que c’est
moins horrible qu’une guerre déclarée, ouverte, mais
non c’est une guerre qui ne dis pas son nom, qui décime,
qui ecrase, qui malmène. Si on pouvait ouvrir les yeux des gens,
c’est ça qui manque en fait, ouvrir les yeux simplement.
Plutôt que de continuer a croire sagement que nos dominants sont
intelligents et oeuvrent pour notre bien, aieaieaie, non, c’est
eux qui ont délibérément choisi et qui font comme
si c’était hors de leur domaine de compétence, mais
c’est faux, la misère c’est un choix décidé
froidement, par calcul, les morts de faim c’est pareil, alors c’est
sur se dire : nos présidents non seulement n’ont rien fait
contre ça, mais ont tout fait pour que ca arrive justement, que
oui, la France en Afrique c’est une honte, c’est infâme,
les gens dans la rue, les exclus, les pas assez forts, c’est une
honte de faire une société qui marche de cette manière.
Et c’est des choix. Des choix, c’est pas le hasard ou la malchance,
des choix.
Si on ouvrait les yeux.
Ce serait bien.