Lettre au provéditeur-éditeur
sur la sagesse des nations.
Voilà, monsieur, je suis fasciné par les proverbes comme l'oiseau
rock par une vestale Besnard. J'ai donc étudié les proverbes de
près, c'est-à-dire tout seul ; les documents trahissent, et isolent
qui les scrute de leur objet initial. Etant l'émanation de la Sagesse
des dites, les proverbes, on peut s'attendre qu'ils nous donneront la clé
du monde, et on n'est pas étonné. On l'a. C'est inutile car le
monde n'est pas fermé, et satisfaisant car la clé est un bel objet
décoratif. Comment on l'a, c'est ce qui suit. Vous y plongerez-vous avec
moi ?
Cela me vint ainsi. Tel père, tel fils. Et immédiatement après,
à père avare, fils prodigue. Il n'y a pas contradiction, vous
le savez comme moi. Il appert (avare) aussitôt que la relation liant le
père au fils est du second degré au moins. N'est-ce pas beau ?
Et se doutait-on qu'un père pût avoir trois enfants ? Aussitôt
d'ailleurs, nous en pouvions déduire un autre proverbe : Les enphants
zélés se suivent et ne se ressemblent pas. Les enphants, nos jours
à nous.
Vous y êtes, monsieur. Vous y êtes. Il y a là-derrière
bien plus que l'on ne vous disait. C'est sommaire en apparence. La sagesse des
nations est poésie, monsieur ; elle échappe à toute critique.
Elle est intuition pure au sens divin, mathémathématique du terme,
et par là, se rapproche savoureusement de l'ineptie. C'est dire qu'elle
nous permet de recréer le monde. Et si elle semble parfois pécher
par omission, si l'on croit que tout n'est pas dit, c'est que l'on n'a rien
vu. Vous l'allez vérifier sur un exemple. Un exemple que j'aime assez,
celui de la cruche à l'eau. Tant y va-t-etle, dit-on, qu'à la
fin, elle se casse. Attendez, monsieur. Ramassez vos membres en boule, et les
laisser s'imprégner de fourmis. Que seul votre cerveau ait le droit d'absorber
de vos forces vitales. Il en aura besoin.
TANT VA LA CRUCHE À L'EAU
QU'À LA FIN ELLE SE CASSE.
l.TANT
Ce départ, pris dans son brut et comme une proposition physique, entraîne
l'usure. Ecartons d'emblée le cas, facile, où la cruche pourrait
être bouillante, et l'eau froide ; car il y a tant et elle se fût
cassée de suite ; car d'autre part, ceci impliquerait la présence
d'une casserole pour faire chauffer l'eau, et si l'on dispose d'une casserole,
on n'a plus de raisons de mettre l'eau dans la cruche. Reste l'eau ardente des
volcans et geysers ; mais les vapeurs de soufre incommodent, monsieur. Il y
aurait eu, sans tant, le cas inverse de l'eau glacée et de la cruche
bouillante, ou même de l'eau glacée solide et de la cruche quelconque
— or l'eau glacée solide n'est plus eau, mais glace, et d'ailleurs
la cruche n'irait pas. Elle ne veut pas patiner. Regardez ce tant. Tant élimine
les états extrêmes du bouillant et du gelé, car tant, ce
n'est pas assez fort pour la casser chaque fois.
Alors, elle va s'user ?
Est-ce un cas non prévu par l'énoncé et qui l'entacherait
de ridicule ? Allons, monsieur, nous ne l'eussions pas trouvé si vite.
Croyez-vous que l'on puisse disposer d'une cruche assez admirablement ouvrée
pour qu'elle s'use si régulièrement que l'on puisse voir, au terme
de sa vie de cruche, le soleil à travers, viride comme l'or des batteurs
? Elle se casse, vous dit-on, monsieur. Elle est donc imparfaite. On en déduit
l'homme. On niera Dieu, plus tard, la vie aidant. Non, monsieur, ce tant prévoit,
implique la pesanteur, le frottement, l'inégalité, et que nous
sommes liés au sol par g.
C'est aller trop vite ? Prenez cette parenthèse, et me la tenez ouverte.
Supposons montée sur une chaîne sans fin (c'est-à-dire
expressément limitée) et fort solide, une cruche fort solide elle
aussi, voire virtuelle, qui ne fasse que s'approcher de l'eau, sous vide et
sans contact ?
Croyez-vous, croyez-vous, monsieur, que la cruche se brisera ? La chaîne
— peut-être ; encore peut-on prendre soin de la doubler périodiquement
d'une remplaçante.
L'esprit, monsieur, embrasse d'un coup l'énoncé et ne peut se
résoudre, comme j'allais le faire, à décomposer en ses
membres la proposition entière. Voyez ce qui me chiffonnait. C'est à
l'eau. Il n'y a qu'approche et non contact. Encore moins immersion. Seule une
implicitation très aventurée, et relevant de la croyance magique,
peut permettre de concevoir que la cruche s'y remplisse. Encore se pourrait-il
qu'elle fût remplie dès son approche, auquel cas nous serions en
droit de disposer instantanément de l'aphorisme, tout aussi valable dans
les conditions imprécises de notre observation :
Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin il y a davantage d'eau.
C'est aller trop vite en besogne. La vache ne va-t-elle pas au taureau ? et
n'entend-on point par là que ce dernier la pénètre et la
remplit ?
La vache va-t-au taureau ; elle en revient pleine.
L'eau est le mâle de la cruche.
Je m'égare, monsieur, vous le voyez et ne faites rien pour me retenir.
Qui m'empêche alors de déclarer aussitôt :
Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin il n'y a plus d'eau ?
Car le mâle, monsieur, voit aussi parfois le fond de ses couilles.
Accessoirement, admirez comme cette dernière affirmation fait plus confiance
à l'homme ? Ne faut-il pas voir en effet dans le premier « Tant
va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse » une illustration
assez explicite de cette mentalité primitive et panthéiste, qui
oppose à la divinité infiniment vaste et omniprésente —
fécondante aussi et circulaire — or-bitte — de l'eau, la
spatialité réduite et misérable de ce con de cruche, frêle
produit de l'industrie humaine, incapable de durer par rapport à cette
eau étemelle ?
Encore ceci se fait-il d'une façon incohérente, c'est-à-dire
libre, — antihumaine, comme en témoignent les esclaves du Gros.
Car dans la minute même que nous supposions cette eau infiniment étendue,
nous réduisions la possibilité de bris. S'il n'y a que l'eau —
et la cruche, naturellement, il est fort peu probable que celle-ci se brise
jamais. Introduisez donc plutôt pour voir, monsieur, sur une étendue
d'eau infinie, une cruche en bon état, scellée ou non ; dans le
cas d'une scellée, fort longtemps souvent flottera-t-elle, ainsi que
ne le prouvent pas les classiques expériences volontaires, ou non préméditées,
de bouteilles à la mer. Dans le cas d'une ouverte : si l'eau est agitée,
la cruche coule, et, arrivée au fond, ne risque plus rien ; ou trois
mille ans plus tard, peut-être, si quelque cousteau vient à la
repêcher. Encore, nous avons supposé un fond où il n'était
question que d'eau ; bien plus, monsieur, une cruche de même densité
que l'eau ne va pas couler — ni une cruche sans densité dans une
eau sans densité...
Je devrais là fermer ma part-en-thèse, car j'ai mon tant. Mon
tant m'a donné la densité, monsieur. Une cruche plus légère
que l'eau me relance, car elle flottera, pleine ou pas.
Et l'eau, monsieur, ne sera agitée que si vous le voulez bien. Car ce
n'est pas non plus dans l'énoncé, et une eau sans vent et sans
marées, sans bords surtout, ne recèle aucun danger pour la cruche
; à moins que la cruche et l'eau ne présentent une affinité
chimique naturelle : une cruche en sodium ou en sucre se verra fortement endommagée
par l'eau. Y aurait-il là rupture à proprement parler ? la cruche
se dissoudrait en l'aigue — ou s'y combinerait...
S'y combinerait. Monsieur, c'est la rupture des molécules. Voilà
ce que ça donne cette parenthèse. Souffrez que je la referme,
j'ai le vertige. La cruche se casse, monsieur, et voilà la bombe. Voilà
les grands hiroshimas qui s'ouvrent à vos pieds.
Fermez-la-moi. Et passons à l'ordre. A va.
2. VA
( J'allais aborder va, mais il me vient encore une précaution sous la
plume. Rappelez-vous, rappelez-vous bien surtout, que si le problème
semble se matérialiser avec une périodicité implicites
par le fait qu'il s'adresse à cette catégorie d'esprits retardataires
qui, dédaignant le progrès introduit par l'usage du transport
continu de l'eau au moyen de ces corps creux que l'on nomme canalisations, se
confinent à l'emploi de vaisseaux de capacité limitée,
munis en général d'anses — ce pourquoi on les baptise cruches
— et réalisent ainsi une véhiculation intermittente et imparfaite
caractérisée notamment par un retour à vide, source d'une
baisse de rendement considérable, c'est pour mieux te manger, mon enfant.
)
La cruche va. C'est vrai en allemand : Der Krug geht zum Brunnen bis er bricht.
(Il faudrait revenir là-dessus, car il y a bis, jusqu'à, et non
pas tant. Il y a une notion de finalité et d'économie, dans le
texte allemand, qui s'oppose à la fatalité de tant. Mais nous
sommes sur va, monsieur, je le sais.) La cruche ne va pas à l'eau toute
seule ; est-elle grande et portée par un petit âne, ou petite et
portée par une souris verte ou un caméléon, encore un point
à méditer. Limitons au minimum le nombre des données. Supposons
un homme tout nu, une cruche vide, et de l'eau non loin de là. Les difficultés
surgissent comme de braguettes explosives ; imaginez encore, monsieur, que tout
se passe dans du sable mou. Un homme H, ou Y, muni d'une cruche C, dans du sable
mou X, à une certaine distance D de l'eau E. Comment concevoir, dans
ces conditions, que la cruche se casse ? L'homme arrivera peut-être, en
tombant dessus maladroitement — ou exprès — à la fracasser,
l'eau disparaît de l'énoncé (d'ailleurs, c'est possible,
car Eau = 0). Ou s'il la lance très haut ?
Nous voilà ramenés brutalement à va. Va est un déplacement
plutôt horizontal, en tout cas parallèle au sol. Il y aurait tombe.
(Je sais, monsieur, je vois dans votre œil le reflet de l'entorse que j'ai
faite au raisonnement — à son honnêteté. Je le reconnais,
monsieur. Le sable mou admis, il n'y a, j'en suis d'accord, aucune raison de
supposer que l'homme ira chercher de l'eau dans sa cruche. S'il n'y a que du
sable mou, pourquoi s'installerait-il à la distance D de l'eau E ? D
= 0, c'est comme s'il n'y avait pas de sable, l'homme s'est établi au
bord de l'Eau et boit directement sans cruche.
Comment s'agirait-il d'autre chose que de boire ? à supposer que ce fût
de l'eau de mer qu'il ait été chercher pour cuire des crabes,
on eût introduit le feu, le bois (le métaldéhyde, le papier,
la tourbe, l'argon ou le reste) et les crabes ; il n'y aurait donc pas eu que
le sable mou, ce qui est contraire à l'énoncé ? Il ne peut
s'agir non plus de se laver, car on ne se salit pas dans le sable — s'il
s'est souillé de ses déjections ? mais alors il aurait mangé
et quoi ? — non, il est uniquement permis, monsieur, de supposer qu'il
urine, puisqu'il boit ; on conviendra que cet homme supposé debout n'a
aucune raison de se pisser sur les pieds ou dans la figure, sinon volontairement,
auquel cas c'est un cochon vicieux et il nous intéresse autrement. Donc,
l'homme veut boire.)
Comme la cruche va, l'eau est en contrebas ou en surplomb. Si elle est en surplomb,
il se noie il n'y a plus de problème — d'ailleurs, monsieur, vous
savez que si même vous truquez les lois de la capillarité, l'eau
ne tiendra pas comme ça jusqu'à la fin. Non, elle est en contrebas
pour justifier la cruche. Il puise de l'eau — non, s'il puise, c'est un
puits, il y a une margelle ; vraiment, monsieur, vous ne m'aurez pas si facilement.
Il plonge la cruche dans l'eau, l'eau copule la cruche, elle remonte pleine...
Elle remontera. Car il y va et va seulement, je sais ; mais aussi tant qui me
donne la remontée. Et la cruche ne se brisera jamais à la remontée
; qu'il boive et nous fiche la paix, elle se casse quand elle va. On vous le
dit.
Mais pour aller, n'aurait-il pas fallu, cette cruche, quelle fût ?
Ah, monsieur, voyez cette merveille : c'est inutile en France. Ici, l'action
précède l'existence. En allemand, l'existence précède
l'action. C'est net ; je crois, monsieur, qu'il n'y a pas à discuter
là-dessus : Tant va, début français. Et là-bas :
Der Krug. Tout le matérialisme teuton est là, monsieur. Toute
l'incompatibilité d'humeur de l'essence et de l'existence. Sartre est
foutu d'avance : il se heurtait à un mur. C'est en Allemagne, monsieur,
que l'existence précède l'action — et l'essence qui en dérive.
Pas en français. Tenter d'adapter à notre usage les sophismes
d'un Heidegger ? Tâche noble, monsieur, tâche noble car impensable,
mais quelle méconnaissance de la 'pataphysique la moins immédiate
! Ici, nous nous affirmons avant que d'exister, nous déclarons les guerres
sans armées. Brutes sordides, nos voisins, au préalable, font
des canons. Ce n'est pas seulement le Rhin, monsieur, qui nous sépare.
3. LA CRUCHE
Avec quoi l'a-t-on faite ? Elle n'était pas là, puisqu'elle va
d'abord.
Est-ce l'homme, est-ce vous, monsieur, qui l'avez faite ? Est-il sage de supposer
qu'elle vient d'ailleurs ? Cette cruche, est-ce Dieu ? Se casserait-il ? Nous
tenterons de régler cette question plus loin. Nous voulions la poser
de suite pour bien vous prouver que nous pensons à tout. Voyez-vous,
monsieur, tout ceci n'est pas simple. La physique est simple ; nous ne nous
y intéressons pas, vous voyez maintenant pourquoi.
Revenons à nos données temporaires. Aussi bien nous ont-elles
servi à la fabrication de conséquences non sans richesse, et à
prouver leur propre absur-dite : un homme, du sable mou, une cruche et de l'eau
ne suffisent pas à justifier le proverbe. Ou la cruche lui sert à
boire et cet homme est un être sophistiqué, car il pourrait boire
dans ses mains, ou la cruche ne lui sert à rien ; de toute façon,
elle ne se cassera pas dans du sable mou. Car elle n'est pas fragile puisqu'il
y a Tant.
Supposons donc le problème — la cruche — résolu —
donc anéanti. Conservons l'homme, le sable mou, l'eau, et ajoutons deux
nouvelles notions au hasard : le soleil S, et un petit massif argileux A. L'homme
traverse le sable et va regarder l'eau parce qu'il n'a pas grand-chose d'autre
à faire, sinon dormir, et il vient de se réveiller. Il ne voit
que le sable, l'eau, et n'ayant rien à jeter dans cette dernière
que ses pieds, il les y trempe.
a) Le soleil a le temps de lui sécher les pieds avant qu'il ne parvienne
en A. Il suffira d'attendre, car les jours se suivent et ne se ressemblent pas.
b) Le soleil n'a pas le temps de lui sécher les pieds.
Les pieds humides glissent sur l'argile.
La revanche, les coups de poing à la matière inerte, l'observation
des empreintes, et, de fil en aiguille, la maîtrise de ladite matière.
Donc l'homme prend de l'argile dans ses mains, et fait des tas de trucs affreux,
dont un qu'est creux avec une anse, et qu'il appelle Khrûch ! (Nous avons
simplifié par la suite.)
Le tout sèche au soleil pendant qu'il dort. Ainsi, dès maintenant,
l'homme a la cruche et possède, en outre, d'autres objets de solidité
voisine contre lesquels il est parfaitement possible que se brise n'importe
quoi d'analogue.
Le seul élément de distorsion du problème vient de ce que
nous avons introduit l'homme, quantité qui ne s'élimine pas d'elle-même
au cours des opérations successives, mais qui, au contraire, est susceptible
d'éliminer toute autre quantité au moment où on en a le
plus besoin. Vous, monsieur, par exemple.
4. À
Fut étudié en parenthèse, et s'il n'est point rétabli
ici à sa place, c'est que nous n'y tenons pas. Le Maître de la
'Pataphysique établit d'ailleurs jadis un traité de son double
qu'il suffira de diviser par deux pour s'instruire encore assez.
5. L'EAU
Voilà, monsieur, d'où vient toute l'ambiguïté du monde
: c'est que l'énoncé contenait à tort ce mot que l'on a
pu croire lourd de conséquence. C'est la seule chose inutile là-dedans,
l'eau. Le vin eût fait aussi bien l'affaire ; car l'eau seule est incapable,
on l'a prouvé, de briser la cruche. L'eau est le prétexte de l'homme
pour casser cette cruche qu'il eut tant de mal à faire ; l'eau en soi
ne donne jamais que de l'eau : les petits ruisseaux font les grandes rizières.
A bon chat, bon rat — à bonne eau bon dos ou d'eau, ou pluteau,
a (de avoir) bonne eau (inversion jolie) bon dos, excuse, aqua bona bonum dorsum
habet.
Mais je crains, monsieur, que cet épuisement systématiquement
incomplet des vertus de notre thème ne vous fatigue l'entendement. Que
j'étudie maintenant la fin, et vous allez vous fâcher. Comment
me tirer de cette impasse ? Et ne voulez-vous point m'y aider ? Comment vais-je
omettre de dire que j'ai vu des cruches vivantes se suicider ? Comment ?
Comme ça. A quoi cela revient-il, au fond, la cruche à l'eau ?
A exalter les possibilités de l'homme. Il résulte bien, vous l'avez
senti, de notre chanson de geste, que toute l'histoire a l'homme pour sujet.
C'est à sa maladresse, au bout du compte, que l'on doit le bris de cette
cruche, et l'admirable proverbe que nous avons aujourd'hui entre les dents.
Et que nous vous proposons de remplacer incontinent par la remarque suivante
: Vide ou pleine, un homme peut toujours casser une cruche.
Répétons-le : l'eau n'y est pour rien. L'homme, au demeurant,
s'en fout bien, parce qu'il peut toujours en fabriquer une autre pourvu qu'il
dispose d'argile, de soleil et de talent, éléments simples fort
répandus à la surface du coléopterre sur lequel nous citoyens.
Et cette élimination de l'eau, inattendue mais prévisible, nous
permet bien de regagner les perspectives enthousiasmantes du début, à
savoir qu'un homme aura toujours assez de cruches pour venir à bout de
l'eau, qu'il pourra avantageusement, à l'occasion, remplacer par le sirop
de lune, la vodeca, le pett e-roll, l'aguardiente, le pulque, le raki, le saké,
le bayrum, le tequila ou tout autre liquide dont la consommation immodérée
constitue la supériorité essentielle de l'humain sur le cruchesque,
voire sur le reste de la création, ainsi que le démontre son comportement
après l'absorption de ces produits spirituels dus uniquement à
son industrie, laquelle outre qu'elle produit des cruches et des proverbes,
en fait l'égal d'un Dieu auquel, du reste, nous ne croyons pas. Car nous
lui préférons le monde, et avant tout le Monde 'Pataphysique,
le seul réglé dans des sens quelconques au choix, et qui, lui,
tourne à la vitesse variable dont naissent les gravités dissemblables
par la vertu desquelles nous pouvons, enfin, percevoir l'accélération,
le mouvement, le sommeil, la Chandeleur et la fumée comme des entités
diverses, fructueuses, favorables (s'il fait beau) et dignes, quoi qu'il arrive
par la suite, d'être conservées dans la mémoire des hommes
jusqu'à ce que, monsieur, vous me direz enfin de m'arrêter, à
quoi j'obtempère en restant, vous n'en doutez pas, votre obéissant
serviteur.
[ Boris
Vian ]