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Communauté globale et nécessité de la responsabilité
universelle
La famille humaine
Que cela nous plaise ou non, nous sommes tous nés sur cette terre comme
membres d’une même grande famille. Riche ou pauvre, éduqué
ou non, appartenant à une nation, religion et idéologie ou l’autre,
finalement chacun d’entre nous n’est qu’un être humain
pareil à un autre. Tous nous voulons le bonheur, et pas la souffrance.
Plus encore, chacun d’entre nous a les mêmes droits de poursuivre
ces buts.
Le monde d’aujourd’hui requiert que nous acceptions l’unicité
de l’humanité.
Dans ce contexte de nouvelle interdépendance, prendre en compte les intérêts
des autres est à l’évidence la meilleure manière
de servir nos propres intérêts.
J’y vois une source d’espoir. La nécessité de coopérer
ne peut que renforcer l’humanité, car cela nous aide à reconnaître
que le fondement le plus sûr du nouvel ordre mondial n’est pas simplement
constitué par des alliances politiques et économiques élargies,
mais réside bien davantage dans une authentique pratique individuelle
de l’amour et de la compassion. Pour un avenir meilleur, plus heureux,
plus stable et plus civilisé, chacun de nous doit développer un
réel sentiment sincère de fraternité et de sororité.
Le remède : l’altruisme
Au Tibet, nous disons que nombre de maux peuvent être guéris par
le remède unique de l’amour et de la compassion. Ces qualités
sont la source ultime du bonheur humain, et nous en ressentons le besoin au
plus profond de notre être. Malheureusement, l’amour et la compassion
ont été trop longtemps exclus de secteurs trop nombreux des relations
sociales. D’ordinaire confinée à la famille et au foyer,
leur pratique dans la vie publique est tenue pour impraticable, sinon naïve.
C’est tragique. Pour moi, la pratique de la compassion n’est pas
du tout le symptôme d’un idéalisme irréaliste, c’est
la manière la plus efficace de veiller aux meilleurs intérêts
des autres et de soi-même. Plus nous dépendons des autres –
que ce soit en tant que nation, groupe ou individu, plus nous avons intérêt
à assurer leur bien-être.
Qu’un conflit soit politique, religieux ou d’affaires, l’approche
altruiste est souvent le seul moyen de le résoudre
Même si ni l’un ni l’autre n’est pleinement satisfait,
si chacun fait des concessions, en dernier ressort, le danger de conflit ultérieur
est évité. Nous savons tous que cette manière de faire
est le moyen le plus efficace de résoudre les problèmes, alors
pourquoi ne pas l’utiliser plus souvent ?
Quand je réfléchis au manque de coopération dans la société
humaine, je ne puis qu’en conclure qu’il découle de l’ignorance
de notre nature interdépendante. Souvent je suis frappé par l’exemple
d’insectes comme les abeilles. La loi de la nature leur dicte d’œuvrer
ensemble pour survivre. En conséquence, elles possèdent un sens
instinctif de la responsabilité sociale. Elles n’ont ni constitution,
ni lois, ni police, ni religion ou éducation morale, mais de par leur
nature, elles travaillent loyalement ensemble. Elles peuvent se battre à
l’occasion, mais en général, toute la colonie survit grâce
à la coopération. Par ailleurs, les êtres humains ont des
constitutions, des systèmes étendus de lois et des forces de police.
Nous avons la religion, une intelligence remarquable et un cœur d’une
formidable capacité d’amour. Et en dépit de nos nombreuses
qualités extraordinaires, dans la pratique, nous sommes en dessous de
ces petits insectes ; d’une certaine façon, j’ai l’impression
que nous sommes plus pauvres que les abeilles.
Ainsi, des millions de gens vivent ensemble dans les grandes villes de la planète,
et pourtant, malgré la proximité, il y en a tant qui sont seuls
! Certains n’ont même pas un seul être humain avec qui partager
leurs sentiments les plus profonds et vivent dans un état de perpétuelle
agitation. C’est fort triste. Nous ne sommes pas des animaux solitaires
qui s’associent uniquement pour s’accoupler. Si nous l’étions,
pourquoi bâtirions-nous de grandes cités ? Seulement voilà,
tout en étant des animaux sociables voués à vivre ensemble,
il nous manque malheureusement ce sens de responsabilité envers nos compagnons
humains. A qui la faute – à notre architecture sociale, aux structures
familiales et communautaires qui fondent nos sociétés ? A nos
facilités extérieures – les machines, la science et la technologie
? Je ne le crois pas.
Je pense qu’en dépit des rapides progrès de la civilisation
durant ce siècle, la cause la plus immédiate de notre dilemme
actuel est l’accent excessif porté sur le seul développement
matériel. Nous sommes tellement obnubilés sans le savoir par cette
course que nous avons négligé de répondre aux besoins humains
les plus élémentaires d’amour, de bonté, de coopération
et de sollicitude. Quand nous ne connaissons pas quelqu’un ou que nous
trouvons une raison quelconque de ne pas nous sentir lié à un
individu ou à un groupe particulier, tout simplement nous les ignorons.
Pourtant, le développement de la société humaine se base
entièrement sur l’entraide. Une fois que nous avons perdu l’humanité
essentielle qui nous fonde, à quoi bon rechercher uniquement le progrès
matériel ?
La responsabilité universelle
Un effort énorme sera requis en particulier pour faire entrer la compassion
dans le domaine des échanges internationaux. L’inégalité
économique, notamment entre nations développées et en développement,
est toujours la source majeure des souffrances sur notre planète. Même
si elles y perdent à court terme, les grandes entreprises multinationales
doivent mettre fin à l’exploitation des pays pauvres. Pomper les
quelques ressources précieuses que possèdent ces nations simplement
pour alimenter la consommation des pays développés est désastreux
; si cela continue sans le moindre contrôle, tout le monde finira par
en souffrir. Consolider des économies faibles et non diversifiées
est une option beaucoup plus sage en vue de promouvoir la stabilité tant
politique qu’économique. Aussi idéaliste que cela puisse
paraître, l’altruisme, et pas seulement la compétition ou
la course à la richesse, devrait être la force motrice dans le
domaine des affaires.
Non-violence et ordre international
Chaque jour, les médias rapportent des actions terroristes, des crimes
et des agressions. Jamais je n’ai été dans un pays où
de tragiques histoires de sang et de mort ne fassent la une des journaux ou
des émissions de radio-télévision. Pareils incidents sont
quasiment devenus une manie des journalistes et de leur public.
Pourtant, l’écrasante
majorité de la race humaine ne se comporte pas de façon destructrice
; en fait, très peu parmi les cinq milliards d’individus sur cette
planète commettent des actes de violence. La plupart d’entre nous
préfèrent être aussi tranquilles que possible.
Fondamentalement, nous apprécions tous la tranquillité, y compris
ceux d’entre nous qui s’adonnent à la violence. Ainsi, quand
le printemps arrive, les jours s’allongent, le soleil brille davantage,
l’herbe et les arbres revivent, tout est frais. Les gens se sentent heureux.
En automne, les feuilles tombent une à une, puis meurent toutes les belles
fleurs, jusqu’à ce que nous soyons entourés d’arbres
nus. Alors, nous ne nous sentons plus si joyeux.
Pourquoi cela ? Parce que,
quelque part au tréfonds de nous-mêmes, nous aspirons à
la croissance et à ses fruits, nous n’aimons pas ce qui s’effondre,
meurt ou s’anéantit. Toute action destructrice est contraire à
notre nature fondamentale. Bâtir, être constructif, tel est le mode
humain.
Discours
entier
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