L'accentuation des inégalités : un phénomène mondial
Les écarts de revenus entre les plus riches et les plus pauvres et entre
pays riches et pays pauvres continuent de secreuser.
Tandis qu'en 1960, les 20 % les plus riches de la population mondiale disposaient
de 30 fois le revenu des 20 % les plus pauvres, en 1997, ce
rapport atteignait 74 contre un. Cette tendance se poursuit
depuis près de deux siècles.
Les écarts se creusent tant
entre les pays qu'à l'intérieur des pays. En Asie de l'Est, le
revenu par habitant estaujourd'hui plus de sept fois supérieur à
son niveau de 1960 et trois fois supérieur à son niveau de 1980.
Enrevanche, en Afrique subsaharienne et dans d'autres pays parmi les moins avancés,
il est actuellement moins élevéqu'en 1970.
Quant aux économies en transition d'Europe de l'Est et de la CEI, elle
sont connu ces dernières années l'aggravation des inégalités
la plus forte de toute leur histoire. (…) Les inégalités
de revenus se sont aussi accruesnettement en Chine, en Indonésie, en
Thaïlande et dans d'autres pays d'Asie de l'Est et du Sud-Est qui avaient,
aucours des décennies précédentes, enregistré une
forte croissance ainsi que des progrès dans la répartition des
revenus et la réduction de la pauvreté.Des études récentes
montrent que les inégalités se sont également accentuées
dans la plupart des pays de l'OCDE dans les années quatre-vingt et au
début des années quatre-vingt-dix.
Sur 19 pays, un seul affiche une légère amélioration. Les
détériorations les plus importantes ont été enregistrées
par la Suède, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.
Dans les années quatre-vingt, le nombre de familles vivant en dessous
du seuil de pauvreté a augmenté de 60 % au Royaume-Uni et de près
de 40 % aux Pays-Bas. En Australie, au Canada, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis,
la moitié, au moins, des familles monoparentales ont un niveau de vie
inférieur au seuil de pauvreté.
Ces tristes performances offrent un contraste frappant avec l'extraordinaire
concentration de richesses autour des très riches.
En quatre ans à peine, de 1994 à 1998, la valeur nette cumulée
des biens des 200 personnes les plus riches de la planète est passée
de 440 milliards à plus de 1 000 milliards de dollars.
En 1998, les patrimoines des trois personnes les plus riches du monde
dépassaient ensemble le PNB global des 48 pays les moins avancés.
Source : Rapport mondial sur le développement humain, PNUD, Nations
Unies, 1999
En 2002, le patron de L'Oréal a touché quatre siècles
et demi de salaire d'un smicard.
Source
Les 10 % des ménages les plus riches détiennent 54 % du patrimoine
total. Et, en 1983, selon les statistiques du Conseil des impôts, les
ménages disposant d'un patrimoine d'au moins 100 millions de francs n'étaient
que 142. (France)
source
Le niveau de vie par habitant des pays à hauts revenus (26 500 dollars
par an) est cinq fois plus élevé que la moyenne mondiale (5120
dollars) et 62 fois supérieur aux ressources des habitants des pays les
plus pauvres (430 dollars), d'après le rapport sur les indicateurs du
développement de la Banque mondiale.
Les pays d'Asie du Sud et d'Europe centrale rattrapent un peu leur retard :
en 2001, ils ont enregistré une croissance de 3,1 % et 4,5 % de leur
Pib par habitant. Rattrapage qui demeure trop lent : au rythme actuel de croissance,
l'Asie du Sud n'atteindrait le niveau de vie mondial moyen d'aujourd'hui que
dans 80 ans et celui des pays riches dans 140 ans…
De leur côté, l'Afrique sub-saharienne stagne et l'Amérique
Latine recule (-1,1 % en 2001). L'évolution de la conjoncture en 2002
et dans les premiers mois de 2003 ne laisse pas apparaître de retournement
substantiel. Conséquence : les inégalités mondiales s'accroissent.
Au cours de la décennie 1990, le pourcentage de personnes mal-nourries
a augmenté en Afrique sub-saharienne et la part de ceux qui vont à
l'école primaire a stagné.
Sans doute, comme l'affirment les experts de la Banque mondiale, l'objectif
des nations unies de diviser par deux le nombre de personnes vivant dans la
pauvreté « peut » être atteint d'ici 2015 alors que
ce chiffre avait stagné au cours des années 90. Mais pour cela,
il faudrait d'autres moyens que ceux utilisés actuellement.
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En 1967, les 5 % des ménages américains les plus aisés
disposaient de 17,5 % du revenu national. Un quart de siècle plus tard,
ils en reçoivent 22,4 %. La part détenue par les 20 % les plus
pauvres est passée de 4 à 3,5 % au cours de la même période.
Les inégalités commencent à s'accroître dès
le milieu des années 70. La suite est une lente montée, quasiment
sans heurt. Les Américains ne sont pas devenus "pro-inégalités"
du jour au lendemain, mais un ensemble de facteurs se sont conjugés pour
expliquer ce phénomène : précarité accrue sur le
marché du travail, restructurations industrielles massives qui ont affaibli
les syndicats, immigration peu qualifiée, montée de l'individualisme
et rôle de plus en plus grand joué par le diplôme notamment.
La myopie française
Par Louis Maurin, Observatoire des inégalités
La montée des inégalités et la cécité des
gouvernements à leur égard est un élément majeur
pour comprendre la montée des tensions sociales, le rejet du politique
par les catégories populaires et en particulier l'essor de l'extrême
droite. Nous avons la conviction que notre démocratie est en danger si
les déséquilibres actuels persistent, que le 21 avril 2002 n'est
pas un accident de l'histoire politique.
Cette cécité résulte de deux phénomènes
:
1- Le décalage entre la société française et la
perception qu'en ont la majorité des partis politiques. Cet écart
est accru par l'insuffisance des données et l'absence d'intérêt
des médias. D'où l'étonnement des catégories favorisées
devant la réalité des chiffres. La moitié des ménages
a bien un revenu inférieur à 1 700 euros par mois (11 000 francs)
et 70 % des actifs ont bien un niveau de diplôme qui atteint au maximum
le BEP.
2- Dans le même temps, toute une partie aisée de la société
refuse d'admettre ses privilèges et reporte sur d'autres couches sociales
l'effort à fournir. Dans des sociétés marchandes, l'argent
demeure le nerf de la guerre et les fortunes de quelques uns sont offensantes.
Mais il faut aussi admettre qu'à côté de l'argent, le diplôme
joue un rôle croissant dans la reproduction des inégalités.
Que les privilégiés d'aujourd'hui sont aussi ceux qui disposent
d'un titre scolaire, même si beaucoup d'entre eux refusent de le reconnaître.
Pour combattre réellement les inégalités, la solidarité
ne peut se limiter à "taxer les riches", mais doit intégrer
les privilèges culturels, si l'on veut réellement sortir notre
démocratie de l'ornière dans laquelle elle se trouve.