TF1 et Coca-cola Les Déclarations de Patrick Le Lay, et un commentaire de texte très intéressant, publié sur acrimed (www.acrimed.org). A lire absolument. http://www.acrimed.org/article1688.htmlLe Lay (TF1) vend « du temps de cerveau humain disponible » " Il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible.
Nos émissions ont pour vocation (...) de le divertir, de le détendre
pour le préparer entre deux messages. " Quand les cerveaux ne pensent pas à la pub, TF1 sort son revolver Quand on regarde la télévision, on se demande parfois si c’est la publicité qui interrompt les programmes ou si ce sont les programmes qui interrompent la publicité. Grâce à Patrick Le Lay, PDG de TF1, cette angoissante question métaphysique trouve enfin une réponse...Petit commentaire de texte à partir d’une dépêche AFP du 9 juillet 2004, reproduisant les propos de M. Le Lay, extraits de l’ouvrage Les dirigeants face au changement (Ed. Huitième jour). « Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. » Savoureuse entrée en matière : M. Le Lay mentionne pour commencer la pluralité des opinions possibles sur la télévision (rassurez-vous, c’est la seule fois qu’une quelconque ouverture d’esprit le traversera).Peut-être pense-t-il (oui, peut-être) à la télévision comme vecteur de culture et d’éveil à la réflexion, ou comme instrument d’information au service des citoyens, ou comme outil d’éducation populaire, ou enfin comme moyen de débat démocratique et politique. On n’en attendrait pas moins du PDG d’une grande chaîne de télévision nationale, conscient d’atteindre des millions de personnes tous les jours, et donc responsable de l’effet de son média sur la conscience et la vie de ses concitoyens. Après tout, M. Le Lay n’est-il pas celui qui a osé, il y a quelques années, s’insurger avec courage contre la première diffusion de Loft Story sur M6, le courageux iconoclaste vociférant contre la télé-poubelle, l’intellectuel en lutte contre la bêtise télévisuelle, le moraliste soucieux de responsabiliser le monde de la télévision, le prophète appellant de ses veux une « quête de sens » sur TF1 ? Patrick Le Lay, apparemment devenu humaniste et honnête homme, aurait-il enfin achevé sa « quête de sens », et découvert le sens de la télévision ? Rêvons un peu... « Mais dans une perspective "business", soyons réaliste ... » Mais la suite se charge immédiatement de nous faire redescendre sur Terre, dans la vraie vie, dans la seule chose qui soit importante et qui ait une quelconque valeur, dans la seule manière de penser possible, loin des utopies ou des conceptions inventives de la télévision, loin de tout pluralisme : c’est-à-dire, bien évidemment, dans le « business », le fric, les sous, le blé, la thune.Vous vous attendiez à quoi ? « Soyons réalistes », ne demandons pas l’impossible, n’essayons même pas d’exiger une télévision capable de participer à l’éducation, à l’information ou à la culture des gens. Il semble que « la quête de sens » de TF1 et de M. Le Lay est achevée ou plutôt, qu’elle n’a jamais commencé : la télévision ne sert bien sûr qu’à faire vendre et à s’insérer ainsi dans le circuit économique, et ses seuls objectifs sont ainsi le profit, la rentabilité maximale, le retour sur investissement. On cherche encore toute trace de culture, d’intelligence ou de réflexion dans le sens de la télévision selon M. Le Lay : la télévision ne sert qu’à faire vendre. Le suspense atteint ici son comble : faire vendre, mais quoi ? « ... A la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit ». Apprécions ici la stupéfiante franchise de M. Le Lay. « Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible » C’est ici que M. Le Lay révèle d’un coup son véritable visage. Pour faire vendre du Coca-Cola (ou du Mac-Donalds, du Bonux, du Paic-Vaisselle, du Raffarin, du Volvo, du Sécuritaire, du Banania, du vote FN, du Spontex, du Jacques Chirac, du Cif-WC, du Sarkozy ...), il faut bien évidemment « qu’un message publicitaire soit perçu ».Or, c’est là une chose difficile, car les vraies gens ont plein de soucis dans la tête : ils n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois, ils partent à la retraite à 66 ans pour toucher un misérable SMIC, ils sont au chômage ou ils ont peur d’y tomber, ils ne peuvent pas se payer des soins dentaires parce qu’ils sont trop chers, ils se demandent s’ils n’ont pas honteusement abusé de la sécurité sociale en demandant deux jours de congé parce que leur travail les a exténués. Ou alors les vraies gens rêvent, ils vivent une belle histoire d’amour, ils vont voir leurs amis, ils croient parfois que quelque chose ne tourne pas rond dans cette société, ils critiquent le gouvernement, ils pensent même parfois à lutter pour améliorer leurs conditions de vie, pour travailler moins, vivre mieux, se cultiver, s’épanouir dans un monde moins injuste... Bref, les gens ne sont pas vraiment « disponibles » à entendre qu’ « Ariel lave plus blanc que blanc », qu’ « Always Coca-Cola », que « C’est pas la rue qui gouverne », que « Minimir fait le maximum » ou qu’ « Alain Juppé est le meilleur d’entre nous ». Les gens ne sont pas naturellement « disponibles », au grand désespoir de M. Le Lay, pour se laisser intoxiquer par des messages stupides et insipides, flattant leurs plus bas instincts, créant chez eux une compulsion d’achat primaire, détournant leur regard des vrais problèmes qu’ils rencontrent dans leur vie, suscitant l’admiration pour le courage du Maréchal Raffarin ou le dynamisme du forcément charismatique Sarkozy. Il est vrai que tout individu possède une raison, des sentiments, une personnalité, une aptitude à l’esprit critique, et même une éducation, obstacles intolérables pour qui souhaite vendre tout et n’importe quoi à n’importe qui. Qu’à cela ne tienne : si le « cerveau » du téléspectateur n’est pas naturellement disponible à ingurgiter n’importe quoi, il va falloir le forcer à le faire, par tous les moyens et à tout prix. En d’autres termes, il faut trouver un moyen efficace de paralyser la réflexion, d’abolir le recul et l’esprit critique, d’abaisser le seuil de tolérance à la vulgarité et à l’obscénité, de faire voler en éclats toute trace de culture et d’éducation. Mais comment ce prodige est-il possible ? Grâce aux émissions de TF1, bien sûr : « nos émissions ont pour vocation de le rendre (le cerveau) disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages ». La réflexion de M. Le Lay révèle ici son cynisme le plus cru : les émissions de TF1 visent à « divertir » le cerveau du téléspectateur. Divertir, c’est-à-dire détourner ce « cerveau » de sa destination originelle : penser, éprouver des sentiments humains, critiquer, décider d’agir. Toute la production audiovisuelle de TF1 ne vise donc qu’à affaiblir les résistances de l’individu à la sottise, à l’ignorance et à la vulgarité. Toute émission de TF1 est un instrument de torture cérébrale, une déclaration de guerre à l’intelligence, une insulte à l’esprit critique. Toute émission de TF1 ne vise qu’à « détendre » le cerveau « entre deux messages » publicitaires. Après « le Bigdil », « Ariel lave vraiment plus blanc que blanc », après le JT de 13 heures « c’est vraiment pas la rue qui gouverne », après « les feux de l’amour » « y’a vraiment bon Banania », après « le Droit de savoir » « c’est fou ce qu’il y a d’insécurité en France », après « la méthode Cauet » on est prêt à rôter pour un Fanta et à se lever pour Danette, après le JT de 20 heures Alain Juppé est vraiment le meilleur d’entre nous et vive l’UMP... Quand TF1 entend parler de cerveaux, elle sort ses émissions... Ainsi s’explique, de l’aveu même de son PDG, la vocation
centrale de TF1 : diffuser des émissions ayant vocation à
paralyser le cerveau des téléspectateurs, pour le rendre
disponible à entendre et à accepter n’importe quel
message.
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